Ces idées qui guident notre action
La version détaillée des principes des Cémea a été rédigée par leur fondatrice Gisèle De Failly en 1957. Le texte ci-dessous a été écrit après le congrès des Ceméa de Strasbourg en 1992 et diffusé aux militant·es dans Repères et actions, la publication interne du mouvement.
Tout être humain peut se développer et même se transformer au cours de sa vie. II en a le désir et les possibilités.
S’il existe des déterminismes socio-culturels, ils ne sont certainement pas préétablis et n’affectent pas immuablement les individus. Bien au contraire, l’état actuel des sciences de l’éducation confirme la capacité de toute personne à se développer et à se transformer.
Pour répondre au désir de valorisation des jeunes et des adultes, nous développons résolument :
- les procédures d’individuation et les processus de responsabilisation et d’autonomie de la personne,
- les situations d’échanges et d’aides au sein des groupes,
- les formes d’apprentissages qui se construisent à partir de l’activité et du milieu.
C’est assurément au nom de ces valeurs que nous pourrons prétendre une véritable pédagogie de la réussite.
Nous nous référons ainsi aux valeurs de liberté et d’égalité auxquelles l’homme aspire, qui se manifestent par notre attachement et notre action pour les droits de tous à l’éducation, à la justice, à la culture, aux loisirs, à l’emploi, à la santé...
II n’y a qu’une éducation. Elle s’adresse à tous. Elle est de tous les instants.
La laïcité, pour nous, n’est pas neutralité. Elle est un engagement constant pour la liberté de conscience, d’expression, pour l’émancipation et le combat contre toutes les formes d’obscurantisme et toutes les aliénations. L’éducation « s’adresse à tous », garantit par ailleurs la déclaration de « l’éducation pour tous », c’est une valeur fondamentalement républicaine. Cela signifie aussi notre attachement à la convention internationale des droits de l’enfant et notre action visant à promouvoir et à garantir ces droits. Est affirmée ici la globalité de l’éducation tant dans sa complémentarité de tous les moments de la vie à travers toutes les activités, que dans une complémentarité des différents espaces éducatifs (école, famille, loisirs) qui pourraient s’inscrire dans un projet éducatif local.
Notre action est menée en contact étroit avec la réalité.
Le contact avec la réalité implique la prise en compte de l’état actualisé des connaissances scientifiques, sociales, culturelles, économiques et des éthiques. Etre citoyen, faire l’apprentissage de la démocratie, agir pour le respect et la dignité, c’est avant tout accepter et revendiquer pour l’ensemble de nos interventions une prise en compte, et une analyse de la réalité de notre environnement politique, social, économique, culturel, relationnel. C’est à cette condition essentielle que notre action prendra du sens puisque ne se situant pas dans un isolat pédagogique, permettant ainsi de travailler à rendre chaque individu plus conscient de son environnement afin de pouvoir agir dessus.
Tout être humain, sans distinction d’âge, d’origine, de convictions, de culture, de situation sociale a droit à notre respect et à nos égards.
Notre respect et notre confiance s’adressent à ce qu’il y a de plus profond chez l’individu, non à l’image superficielle ou aux représentations qu’il donne de lui-même. La première conséquence sera donc pour nous de rechercher la qualité dans tous les domaines de notre travail, quel que soit le public concerné, au-delà des difficultés matérielles, qui pourraient conduire à se satisfaire d’une éducation au rabais. L’interprétation de ce principe nous autorise en seconde conséquence à reconnaître que respect de l’être humain et idéal social se rejoignent dans le même courant humaniste.
Il convient donc, dès lors :
- d’éviter les abandons, les exclusions, la démagogie et, dans le même temps, de s’adapter aux intérêts et aux rythmes individuels,
- de conduire une lutte de tous les instants, car l’ouverture à la différence et au dialogue avec l’autre n’est pas une inclinaison spontanée des conduites humaines.
Enfin, on ne peut que réaffirmer l’importance de la double injonction induite par ce quatrième principe :
- Respect d’opinion, car si une idée peut être rejetée, combattue celui qui la véhicule a droit à notre respect.
- Respect des minorités qui confirme surtout notre option laïque au sens de liberté de conscience et d’impartialité positive.
Le milieu de vie joue un rôle capital dans le développement de l’individu.
S’il est fondamental de reconnaître l’importance du patrimoine génétique propre, unique pour chacun, il est tout aussi fondamental d’affirmer le rôle du milieu dans le développement de l’individu. Chaque individu est unique ; chaque individu est semblable aux autres et différent en même temps ; chacun aspire à la ressemblance et à la différence.
Le milieu de vie joue un rôle capital : ceci souligne la nécessité pour l’éducateur d’agir dans la transformation sociale et matérielle du milieu : cet enrichissement rendra possible la valorisation des potentialités de chacun. Comme dans toute situation éducative trois pôles interagissent :
- le milieu avec ses composantes,
- la personne avec ses besoins et désirs exprimés et/ou potentiels,
- l’éducateur avec sa personnalité, son projet et sa capacité à faciliter la mise en
relation de la personne et du milieu.
Pour comprendre, explorer, s’approprier, transformer le milieu, il s’agit donc de privilégier les facteurs d’apprentissage de la socialisation de l’individu dans un groupe, de préparer chacun à vivre dans des groupes sociaux, ethniques... variés dans la richesse d’une société multiculturelle. L’atteinte de ces objectifs nécessite :
- une volonté politique et sociale d’intégration,
- le développement de véritables solidarités entre les différents groupes sociaux, dans des espaces transitoires, relais permettant aux personnes d’élaborer des outils, des démarches facilitant la construction ou la reconstruction d’une identité sociale.
Ces valeurs de solidarité (plurielles dans un quartier, internationales avec les populations exclues des richesses du monde actuel) sont aujourd’hui essentielles.
Il nous est difficile d’admettre qu’une personne qui n’a pas eu la chance de naître dans un milieu plus favorisé que le sien ne puisse espérer atteindre la position sociale et professionnelle à laquelle ses capacités et son travail lui permettent légitimement d’aspirer. Nous revendiquons pour elle le droit à l’excellence.
De même, nous ne pouvons ignorer les inéluctables ruptures avec leur milieu d’origine qu’implique une telle promotion pour ceux qui parviennent à l’obtenir. Mais il ne serait pas admissible que ces ruptures, déjà rançon d’un effort personnel important s’accompagnent d’un reniement et d’une culpabilisation vis-à-vis de leur milieu d’origine. Il faut donc aider les personnes concernées, à la fois, à prendre l’initiative de ces ruptures nécessaires pour leur épanouissement socioprofessionnel et à assumer pleinement leur origine pour que ne soit pas terni l’épanouissement personnel auquel elles ont droit, en risquant d’être taxées de trahison. De plus, l’attention à chaque individu, la mise en valeur de ses capacités, l’acceptation des différences, contribuent à la reconnaissance d’une communauté d’idées, d’identités.
Un des facteurs essentiels de promotion de ces valeurs dans nos actions réside dans la qualité de la vie quotidienne et la vie collective, préparées, aménagées pour offrir confiance, sécurité, richesse de relations.
Le milieu de vie sollicite, éveille, stimule, incite, certes. Il peut aussi empêcher appauvrir, tuer la vie même : des événements, des situations actuellement vécues, l’attestent à l’évidence. Il est donc nécessaire d’entreprendre une réflexion plus large, plus globale, qui prenne en compte la notion d’environnement dans la complexité de ses composantes et la recherche d’une cohérence d’ensemble. Ce qui se traite dans le domaine (en construction) de l’écologie urbaine doit nous aider à mieux poser un certain nombre de questions, à trouver des réponses plus pertinentes.
Ces perspectives devraient permettre aux milieux de jouer un rôle positif dans le développement de l’individu et des sociétés. Cela nous conduit à situer l’éducation à l’environnement comme une valeur centrale de notre action. Cette volonté d’approche globale et multiple, la variété d’origine sociale et culturelle entre stagiaires d’une part et formateurs d’autre part est aussi une des approches de la laïcité.
L’éducation doit se fonder sur l’activité, essentielle dans la formation personnelle et dans l’acquisition de la culture.
Ce principe fonde l’ensemble de nos actions et, en réfutant la dissociation de l’intellectuel et du manuel, confirme notre conception de globalité de l’activité, de la nécessité pour l’être humain de s’investir totalement.
L’activité est globale, l’être y est tout entier engagé. Il y a en lui des potentialités qui se concrétisent dans la réalisation d’activités les plus diversifiées possibles. Le milieu de vie affectif et matériel, doit rendre possible la satisfaction de ses intérêts et par là développer sa personnalité sous tous ses aspects. L’activité permet aussi le développement de capacités nouvelles propres à assurer un accroissement de la maîtrise de l’environnement de la part de l’individu, un enrichissement à la fois moteur, affectif, cognitif et social de ses propres capacités.
L’activité est centrale dans notre action. Les évolutions récentes des modalités de pratiques d’activité qui se sont diversifiées, segmentées, nous ont conduit à en préciser le sens. La nouveauté d’une activité, sa pratique ne sont pas le garant de sa valeur, de sa richesse. D’autre part, il ne peut être question de rejet de tel ou tel type d’activité. Ce qui en fonde l’intérêt, c’est la manière dont nous appréhendons ces nouvelles activités à la lumière de nos conceptions.
Tout ceci induit donc un va-et-vient entre théorisation et pratique, sans dissociation. L’intervention du formateur est définie comme une aide à poser les questions, sans inculquer des vérités toutes faites ou des réponses pré-formées ; c’est à la fois l’approche d’une éducation à l’autonomie et une manifestation de la laïcité.
L’expérience personnelle est un facteur indispensable du développement de la personnalité.
La prise en compte de l’histoire personnelle est un facteur indispensable dans l’éducation. La conflictualité constitutive de l’être humain s’inscrit dans les significations successives, personnelles ou collectives, inédites ou héritées, qui font de sa vie une histoire. La réappropriation même contradictoire de cette histoire toujours singulière et sociale, fonde la possibilité d’un projet et d’un avenir. Elle constitue l’être humain comme sujet d’un désir qui le transforme. L’expérience personnelle comprise comme la capitalisation des conduites et des actions vécues et analysées est éminemment formatrice. Elle constitue pour l’être humain la véritable attestation de son voyage dans les apprentissages à partir d’un projet d’abord strictement individuel. Accompagnée d’une indispensable réflexion, chaque pratique crée de nouveaux besoins, fait surgir des projets nouveaux et ressentir la nécessité d’apprentissages, contribuant ainsi à l’appropriation des connaissances et au développement personnel. A la confluence de ses pratiques et de sa réflexion, c’est l’acquisition de savoirs et de savoir-faire mais c’est aussi la certitude d’une construction personnelle de son savoir-être d’une création originale de sa personnalité.
Parmi nos certitudes, la laïcité.
Conquête relativement récente, la laïcité est toujours menacée, dès lors qu’un groupe particulier entend imposer ses intérêts ou ses convictions propres à l’ensemble de la communauté. La laïcité est plus que jamais un combat et nous le vivons tous les jours. La volonté de préserver l’école, et plus largement les grandes fonctions publiques de toutes les emprises, mais aussi de préserver la vie quotidienne de chacun, est la condition de la liberté de jugement et de conscience que nous revendiquons.
Il est inacceptable que l’on puisse assimiler la laïcité à une idéologie comme une autre ou taxer notre volonté d’indépendance, de fermeture comme le laisseraient supposer certaines expressions qualifiant la laïcité : ouverte, plurielle... S’il s’agit de faire entrer à l’école les groupes de pression d’obédiences divers, c’en est fini de la laïcité et de l’ouverture d’esprit, réelle celle-là, qu’elle permet. Et qu’on ne nous parle pas d’intégrisme laïc ou de laïcard ringard « quand on sait que l’intégrisme refuse résolument la distinction du public et du privé, promouvant ainsi une sorte de totalitarisme alors que la laïcité reconnaît comme un principe intangible la liberté de conscience et entend assurer son plein exercice. »
La laïcité, pour nous, c’est le combat au quotidien contre l’intégrisme, c’est aussi le combat pour la liberté spirituelle de chacun. C’est le combat contre toutes les formes d’obscurantisme qui fleurissent chaque jour à côté de nous. C’est l’ouverture à la compréhension de l’autre dans l’acceptation des différences et dans le respect du pluralisme sans accepter pour autant toutes les formes d’enfermement dans cette différence. Comment accepter de considérer que le combat de la laïcité serait d’un autre âge quant l’intégration des jeunes de familles migrantes est l’un des problèmes importants de notre société, alors qu’une des réponses se prépare dans le creuset de l’école publique et non dans le creuset d’écoles séparées ?
Nous avons parfois de la difficulté à identifier nous-même ce qui caractérise nos valeurs et nos principes dans nos modes d’action, dans nos outils pédagogiques. C’est- à-dire à définir les conditions à travers lesquelles nous transposons ces valeurs dans la vie quotidienne, dans l’action éducative, sociale, que nous mettons en œuvre.
Ce qui, en quelque sorte, nous fonde en acte. Il y a donc lieu de veiller particulièrement à ce que nos interventions, pour convaincre et emporter l’adhésion, puissent s’appuyer sur des actions d’évaluation et de recherche qui les rendent fiables, et mobiliser autour les penseurs comme les scientifiques.
Mouvement d’éducation, mouvement social, les Ceméa doivent rester un laboratoire permanent de recherche et d’expérimentation. Capables de mobiliser les énergies, ils doivent continuer à prendre leur part de la réflexion et de l’élaboration des idées, sous peine de se voir contester leur action, taxée d’idéologique.
De même que pour chaque homme l’expérience est la source de la connaissance, les idées des Ceméa ont besoin de se confronter aux connaissances, de les utiliser dans les analyses qu’ils peuvent faire, de se traduire dans les actes quotidiens, en ne se contentant pas d’affirmer, mais en ayant mis en place les outils qui font des activités de tous les jours, les fondements qui nourrissent la pensée dialectique. Si nous ne voulons pas faire en sorte que certains secteurs de notre action puissent apparaître comme marginaux, il faut que nous ayons inventé, construit les moyens qui permettent de les intégrer dans la démarche expérimentale du mouvement. Car c’est au niveau le plus quotidien, à travers des méthodes, des savoir-faire et des outils précis de nos pratiques pédagogiques et sociales - que nous voulons transformatrices - que nous imposerons nos idées dans et par les faits. C’est ce qui fait notre identité et notre spécificité.
Texte écrit après le congrès des Ceméa de Strasbourg en 1992 et diffusé aux militants dans la publication interne au mouvement : Repères et actions