Discours d'ouverture de la Biennale 2024

Publié le
Lecture ~11 minutes

Convergences pour une Education nouvelle a vu le jour en 2021, à l’occasion du centenaire du premier congrès fondateur de la Ligue Internationale de l’Éducation Nouvelle. Après une première rencontre en 2019 à Poitiers qui avaient précédées ce centenaire, nous nous étions rendu à l’évidence qu’il nous fallait nous réunir pour défendre, promouvoir et développer l’éducation nouvelle dans nos sociétés.

Après la Biennale de Bruxelles en 2022, nous avons concrétisé ce collectif. Et aux 8 mouvements initiaux, d’autres associations sont venues grossir les rangs  Nous voilà donc à nouveau réuni pour une 4ème Biennale avec ce qui nous rassemble mais aussi nos différences. C’est pour cela que nous vous avons sollicité pour que chaque mouvement d’éducation nouvelle qui fait Convergences puissent apporté sa contribution. 

Aujourd’hui, si nous devons nous appuyer sur les écrits, les pensées, les outils mis en place et les échanges qui ont construit l’Education Nouvelle depuis plus d’un siècle, nous devons sans cesse nous réinventer. En 2022, pour pouvoir créer un socle commun actualisé, nous avions co-écrit le Manifeste « Le monde que nous voulons, les valeurs que nous défendons ». Aujourd’hui deux ans après, nous nous rendons compte que si cette base est précieuse, nous devons sans cesse nous réinventer et faire face à un monde qui ne suit pas exactement le sens que l’on voudrait qu’il prenne.

Dans un premier temps, nous nous sommes dit qu’il fallait faire un état des lieux de ce monde, bon on ne va pas se le cacher ça va pas fort, d’autant plus que nous avons pensé ce discours d’ouverture fin juin, au lendemain des élections européennes où l’extrême droite à fait un score important. Lors des différentes rencontres du comité de pilotage de Convergences, nos réflexions nous ont amené à penser 5 axes de travail pour cette Biennale. Car même si nous ne sommes pas un mouvement politique, nous sommes un mouvement qui a entre autre pour objectif de prendre des positions « politique » afin de pouvoir avoir un impact sur le monde. Ces 5 axes traverserons les différents échanges et débats durant ces 4 jours pour pouvoir construire ensemble nos positionnements.  

Il y a tout d’abord l’état de la planète avec les dérèglements climatiques. Une partie de la jeunesse nous donne de l’espoir en se mobilisant avec des actions toujours plus novatrices. Mais l’inaction des gouvernements et le lobbies des grandes entreprises, font que rien n’est mis en place concrètement à l’échelle mondiale pour réduire la destruction de notre environnement.  Ce qui nous a amené au premier axe qui est de réfléchir à l'Éducation nouvelle face à ce défi écologique.

De partout dans le monde, les différents résultats des élections dans beaucoup de pays, nous inquiète. Nous nous retrouvons face à la montée des extrêmes droites et des idées réactionnaires. Une partie de la jeunesse nous donne de l’espoir avec une réflexion et la création de nouveaux outils de lutte contre les dominations (sexisme, racisme, antisémitisme, validisme, transphobie, …). Mais, nous nous retrouvons impuissant face aux génocides, nous nous retrouvons de plus en plus confrontés aux reculs des droits des filles et des femmes, aux discriminations voir la criminalisation des personnes LGBTQIA+,  aux répressions politiques et syndicales, au déni de démocratie, … Ce qui nous a amené au deuxième axe de travail qui est de réfléchir à l’Éducation Nouvelle face aux gouvernements de plus en plus autoritaires et à la montée de l’extrême droite.

Les différentes politiques libérales et la casse des services publics que nous retrouvons dans plusieurs pays, entraînent une augmentation de la pauvreté. Depuis plus d’un siècle et le début de l’Éducation Nouvelle, la démocratisation de l’école a permis à de nombreuses générations d’accéder à une scolarité « plus complète ». Mais les parcours scolaires des élèves n’est toujours pas dissociés du contexte socio-économique dans lequel ils ou elles vivent. L’éducation émancipatrice que nous prônons n’est absolument pas la volonté des gouvernements, qui réduisent bien trop souvent les moyens alloués à ce secteur, de là à penser que l’échec scolaire est voulu. La question de la santé avec le recul de l’accès au soin a aussi un impact sur l’échec scolaire. Le manque de moyens donné aux médecins scolaires, aux travailleurs et travailleuses social.es, à la psychiatrie, aux accompagnant.es des élèves handicapés, ont un impact sur la réussite scolaire. Nous nous réjouissons du chemin fait pour penser autrement l’éducation que par l’enfermement l’éducation des enfants et jeunes handicapées ou malades. Mais l’inclusion reste une vœu pieu sans moyens pour le réaliser et, même si cela varie d’un pays à l’autre, pas grand-chose n’est fait pour penser une école réellement inclusive où tous les enfants et jeunes, valide ou non valide. Ce qui nous amène à notre troisième axe de travail l’Éducation Nouvelle face à l’échec scolaire socialement marqué. 

Notre quatrième axe rejoint le constat du troisième. La spécialisation des filières, la sélection et le tri des élèves, qui se font dans un cadre de reproduction sociale, enferme et empêche la compréhension d’un monde complexe tout en facilitant les replis et dominations. Nous nous retrouvons face à des instituons qui veulent faire entrer les enfants, les jeunes et même les adultes dans des moules pour servir au mieux le capitalisme, ne laissant que très peu de place à la prise en compte de la diversité et la place de l’enfant comme acteur et décideur. Ce constat rejoint aussi la montée de l’individualisme et l’affaiblissement du collectif. L’éducation doit alors être pensé globalement avec une complémentarité entres les différents acteurs et actrices qui permettre à chaque individu de se construire lui-même. Cet éducation doit aussi être pensé comme populaire où le « faire ensemble » amène le « vivre ensemble « , où l’individu nourrit le collectif et le collectif nourrit l’individu. Ce qui amène comme quatrième axe de la travail, une réflexion autour de ce qu’est l’Éducation globale, l’Éducation Populaire en lien avec l’Éducation Nouvelle.

Si l’enfant n’a pas la possibilité d’être acteur de ses apprentissages et dans ses loisirs, il en est de même pour les professionnels de l’éducation. La déshérence de la formation et la fabrication d’exécutants qui sont des techniciens ne s’interrogeant parfois que trop peu sur le sens de leur action est une réalité. Cela rejoint la question de l’affaiblissement du collectif au profit du chacun pour soi avec une mise en avant du développement personnel comme objectif de vie. Ce développement personnel qui inonde les écoles et structures privées dites en pédagogie alternative. Sans rentrer dans un débat sur le privée et le public, qui peuvent varier d’un pays à un autre, nous dénonçons ces écoles « marchandes » qui répondent à une logique de sélection et de promotion des "héritiers". Des parents payent leurs services assez chers et, en échange, elles forment les enfants pour intégrer le groupe des cadres dirigeants de l'économie et de la politique. En ayant une vision internationale de l’éducation, dans un contexte de guerre voir de génocides, il est impossible de ne pas penser l’éducation à la paix. Ce qui amène au dernier axe de réflexion durant cette Biennale qui est la question de la privatisation, la marchandisation, mais aussi pour y répondre comment remettre au cœur la coopération et l’internationalisme dans l’Éducation.

Bon, une fois que nous avons bien critiquer nos gouvernements, le poids des lobbys et les partis de droite et d’extrême droite, il nous semble quand même important de nous critiquer aussi et de voir notre part de responsabilité de la situation dont nous venons de dresser le portait. Car si nous voulons agir concrètement au niveau de l’éducation, nous devons comprendre aussi les mécanismes que nous mettons ou pas en place pour changer ce que nous critiquons dans nos sociétés, afin de pouvoir lutter de manière plus efficace. Il s’agit, en ce sens de montrer l’impasse dans laquelle nous a amené la logique économique libérale et capitalistique tout comme son antinomie avec les exigences écologiques. Il n’est pas possible de repenser sérieusement notre projet éducatif sans repenser, en même temps, le monde vers lequel nous souhaitons tendre. C’est seulement ce nouveau « projet politique » une fois posé et partagé que l’on pourra réellement prendre au sérieux les enjeux de la citoyenneté, de l’émancipation individuelle et collective, de la démocratie participative, … et bien d’autres choses aujourd’hui effacées par la prédominance des enjeux d’employabilité d’une école, au service de l’ordre économique actuel d’une société individualiste, où l’avenir promis à la jeunesse est celle d’une mains d’œuvre corvéable à merci ou d’un embrigadement pour préparer leurs guerres. C’est parce que nous sommes les fervents défenseurs d’une pédagogie critique radicale et que nous luttons pour un autre avenir pour la jeunesse que nous devons profiter de cette biennale pour enrichir nos réflexions, partager nos préoccupations, et nous fixer un plan de bataille à la hauteur des enjeux.

Nous pouvons déjà nous questionner : 
    • sur nos divisions politiques, syndicales, pédagogiques, … si nous devons respecter nos divergences, nous ne pouvons pas nous permettre à l’heure actuelle de nous diviser. Nos dissensus sont nécessaires. Cependant ils ne doivent pas être des freins mais des atouts dans nos débats pour faire grandir ceux-ci et aboutir à un consensus qui sera notre socle commun. 
    • sur nos résistances sûrement insuffisantes car nous même nous sommes prises dans cette société qui prône l’individualisme au profit du collectif. Pour un grand nombre de raisons et souvent tout simplement notre sécurité et notre santé, il est plus simple parfois de se plier aux exigences de nos hiérarchies même si nous ne sommes pas d’accord avec elles.
    • sur nos rôles en tant que professionnel dans la maltraitance institutionnelle ou encore notre contribution -même involontaire- aux mécanismes de sélection. Faute de pouvoir faire de notre mieux, nous essayons de faire le moins pire, mais de moins pire en moins pire, nous arrivons à des situations qui sont de moins en moins acceptables.
    • sur nos rôles en tant qu’éducateur et qu’éducatrice qui bien prônant la formation de l’esprit critique, la prétendue valeur émancipatrice du savoir, d’une Éducation nationale se fixant pour mission la construction de citoyens autonomes et responsables mais qui amène pourtant nos anciens élèves à voter pour l’extrême droite, qu’ont-ils et elles donc retenue des années passées avec nous
    • sur nos places souvent très inégales dans les différents territoires de nos pays et même de notre planète. Que l’on soit dans un centre ville, à la campagne, en banlieue, dans un camps de réfugier, …. chacun de ses endroits doit pouvoir devenir un lieu d’émancipation pour les enfants et les jeunes qui y vivent.
    • sur l’inadaptation de certains de nos discours parfois trop éloignés des préoccupations des enfants et leur famille. La pauvreté augmente de partout dans le monde. Quand nous sommes face à des personnes qui ne savent peut-être pas de quoi elles vont vivre demain, la perspective d’un avenir est souvent compliqué et nos discours utopiques peuvent avoir l’air hors sol. Il semble donc nécessaire d’allier nos combats à ceux des familles plus précaires qui réclament des papiers, un logement pour avoir le droit de vivre dignement sur n’importe quel territoire. 
    • sur nos formations et réunions qui restent bien souvent dans l’entre soi. Pour beaucoup d’entre nous, nos associations et mouvements connaissent un recul dans leur nombre de militant.es. (nbre de personnes présentent au congrès de l’éducation nouvelle il y a 100 ans). Nos collègues ne sont pas forcément hermétiques à ce que nous défendons mais nous n’arrivons pas à les convaincre à franchir le pas.
    • sur nos oppositions parfois trop fermes à la nouvelle technologie qui nous éloigne de la réalité des enfants et jeunes. Par cette réflexion se joue aussi la question du savoir légitime qui serait celui de l’école et un autre savoir qui passerait par des médias que nous ne maîtrisons pas et dont nous nous opposons et bien souvent à juste titre. Mais en se positionnant ainsi, nous entrons dans une conception descendante et dominante de l’éducation. Notre rôle d’éducateur et   d’éducatrice est donc plutôt de pouvoir accompagner les enfants et adolescents vers un regard critique et émancipateur.
    • sur nos difficultés à penser l’école comme n’étant plus forcément le lieu principal d’acquisition des connaissances jugées nécessaires pour comprendre et habiter le monde. Le poids de l’école dans l’acquisition des clés pour habiter un monde de plus en plus complexe, n’est plus forcément le même aujourd’hui.

Une fois tout cela dit, que faire ? Résister dans un premier temps 
Il existe bien sûr plein de manières. Résister, c’est assumer nos positionnements dans les actions que nous menons et dans la vision de l’éducation que nous dénonçons. Résister c’est aussi parfois désobéir. Résister c’est aussi créer du collectif, pour ne pas être seul à faire face à nos opposants. Et préparer les combats d’ensemble à venir.

Mais nous ne pouvons pas qu’être dans l’opposition. Il faut aussi reprendre la main sur cette bataille des idées, en mobilisant, en construisant et en opposant notre projet d’école et de société réellement émancipatrice.  Et c’est pour cela, que nous sommes réunis ensemble durant cette Biennale. Et, parmi toutes les échanges que nous allons avoir il semble nécessaire de savoir ce que nous voulons réellement. Quel projet politique globale voulons-nous défendre, tout en partant à chaque fois de notre point de vue qui est celui d’éducateur ou d’éducatrice.

Si nous Convergences avons commencé un travail important de mis en commun, ces dernières années, plusieurs autres collectifs ont émergé avec la volonté de proposer une approche systémique des maux dont souffre « notre » système éducatif et qui appellent à le « repenser »,  le « reconstruire », et le « refonder » sur des bases proches des valeurs, des principes, des démarches de celles défendues par l’Éducation nouvelle. N’aurions-nous pas intérêt à nous rapprocher de ces Collectifs pour nous enrichir mutuellement de nos apports respectifs et gagner ainsi en audience auprès des acteurs et actrices de terrain et des pouvoirs publics ? Cela passe,entre autre par de la mise en liens et en réseaux des initiatives qui, à l’échelle locale, nationale et internationale. 
Dans une perspective de transformation de notre système éducatif,  il s’agit en effet de trouver comment penser l’articulation dynamique entre la convergence la plus large, aux échelles nationale et internationale, des idées porteuses de changement dans le domaine de l’éducation, d’une part et, d’autre part, les réalisations qui, à l’échelle locale, inscrivent le changement sur le terrain et le rendent palpable grâce à la créativité, l’inventivité de tous les acteurs et toutes les actrices d’un territoire ?

Pour pouvoir défendre nos idées, nous devons nous faire entendre, en publiant, communiquant ensemble de manière plus uniforme pour infuser nos idées, principes et positionnement en éduquant pour la révolution. Il est donc important de penser à ces supports de communication. Si, nous avons évoque notre regard parfois trop critique envers les nouvelles technologies, nous devons réfléchir à la place que leur donne les nouvelles générations et l’utilisation de celles-ci pour agir sur le monde. 

Il semble aussi important de mettre en commun nos outils. Ceux-ci doivent pouvoir être complémentaire dans un souci d’éducation globale, populaire et nouvelle. Ils doivent permettre aux enfants et adolescents, mais aussi à nous en tant que professionnel.le, d’analyser le monde qui nous entoure, de connaître les alternatives et adopter les plus efficace à long terme et créer les instruments pour mettre en marche les alternatives. 

Cela implique de questionner ce que nous appelons alternatives : sont-elles à réaliser en dehors de la société ou sont-elles présentes dans les différentes institutions ? Quelles peuvent-être la place de ses alternatives dans les pouvoirs décisionnaires pour pousser à ce que les gouvernements travaillent à garantir que l’éducation reste un bien commun et un droit universel, accessible à tous les enfants et adolescents mais aussi à tous les citoyens et citoyennes en dehors du cadre scolaire, indépendamment de leurs capacités socio-économiques.

Ce projet politique d’actualisation et de défense de l’Education Nouvelle pour changer nos sociétés, doit dans son principal objectif d’émancipation, prendre en compte tous ce qui vient remettre en question le pouvoir établi et l’impact de celui-ci sur environnement et sur les rapports de dominations entre individus et groupes d’individus. 

Cette Biennale réunit les adhérents et adhérentes de tous nos mouvements. Ce n’est pas un marché ouvert à tous et toutes où chacune et chacune de nous serait là pour « vendre » ses pratiques. Il s’agit bien de nous retrouver durant ces 4 jours pour débattre, échanger, confronter nos différents points de vues, nos pratiques pour pouvoir en faire ressortir ce qui nous rassemble et ce qui fait que nous sommes un collectif qui converge vers un objectif commun qui est la résistance par et pour l’Éducation Nouvelle afin d’en faire notre projet de société.

Une fois tout cela posé, nous vous souhaitons plein d’échanges, de travail, de rencontres, de réflexions, durant ces 4 jours de Biennale