Rencontre avec Edwy Plenel
Le mercredi 30 novembre, Edwy Plenel est venu rencontrer les participants à cette quatrième biennale pour échanger sur les défis qu'ont à relever l'éducation populaire et l'éducation nouvelle au regard de la société qui nous entoure.
Vous retrouverez sur cette page son intervention en intégralité !
Enregistrement de la rencontre avec Edwy Plenel
L’éducation nouvelle contre l’extrême droite
Que peuvent faire les militants de l’éducation nouvelle face à la montée des populismes et de l’extrême droite ? Cette question est l’un des cinq axes de la Biennale internationale de l’éducation nouvelle, qui se déroule à Nantes du 30 octobre au 2 novembre. Elle a été traitée notamment lors d’un débat et d’une rencontre avec Edwy Plenel durant la première journée.
Lors de la première journée de la Biennale de l’éducation nouvelle à Nantes, l’atelier « Perception des migrations et montée des populismes : que fait l’éducation nouvelle ? » a commencé par une discussion sur les termes à employer pour parler des migrations.
Celui ou celle qui choisit de partir de son pays pour travailler ailleurs n’est pas considéré comme une migrante ou un migrant, mais une ou un expatrié, même si elle ou il effectue bel et bien une migration. Des termes qui étaient plus courants il y a quelques années, ou il y a plus longtemps, ont été rappelés : immigrés, boat people. De l’avis des participants, le glissement des mots n’est pas innocent. Le terme exilé semble préférable à certains, même si l’exil est parfois choisi, on peut être condamné à l’exil.
Pour l’une des participantes, la principale différence tient à l’emploi du participe présent ou passé. Migrant, au participe présent, comporte l’idée du choix, du volontariat. On pourrait ajouter que le participe présent suggère un mouvement qui n’est pas fini, quelqu’un qui est de passage et n’a pas l’intention de rester, donc de s’intégrer. Au contraire, le participe passé d’exilé (ou de réfugié) contient la contrainte et le non choix.
Qu’en est-il du droit à l’éducation ?
Les participants ont aussi partagé la dégradation de la situation des familles, la nécessité pour des équipes de chercher des solutions d’hébergement pour des élèves dormant dans la rue, les enjeux liés à l’âge des jeunes, dont la minorité est de plus en plus contestée par les services sociaux départementaux. Et lorsqu’il y a une OQTF (obligation de quitter le territoire français), la police vient parfois chercher les enfants jusque dans les écoles pour remplir les objectifs chiffrés.
Le droit à l’éducation est inconditionnel, notamment en France, signataire de la Convention international des droits de l’enfant, mais il n’est pas respecté. Un participant signale qu’il y a quatre-vingt-dix jeunes non scolarisés à Besançon : « on n’a jamais vu ça avant », dit-il. Et un recours a été déposé contre le rectorat pour une cinquantaine d’entre eux.
Parfois, la scolarisation des jeunes est conditionnée au choix d’une filière courte : on exige qu’ils choisissent une filière professionnelle, on refuse de les inscrire en seconde générale, leur fermant ainsi la voie vers des études longues. Et ils acceptent, pour avoir des papiers. Il existe des possibilités de contrer ces exigences, mais pour le savoir, il ne faut pas être seul, et mobiliser les différents métiers qui interviennent auprès de ces jeunes.
Cela va même jusqu’au bulletin scolaire, qui peut avoir un impact direct sur une vie : des appréciations pas ou insuffisamment réfléchies risquent poser des problèmes pour obtenir des papiers. Comme cette OQTF décrétée sur le motif que le jeune avait eu deux retards dans l’année et n’était donc pas pleinement investi dans ses études ; ou ce jeune Malien qui n’a pas eu ses papiers parce que l’enseignant de français avait écrit qu’il n’arriverait pas à s’intégrer.
Que faire face à cela ?
Au-delà de ce parage de situations difficiles, violentes, le rôle spécifique des éducateurs a été discuté. Que faire face à cela, en tant que professionnels de la transmission ?
Première chose à faire, dit un participant : rappeler ce que sont les migrations sur la planète. La majorité des migrations sont des migrations de proximité. Aujourd’hui, la question des Syriens ne se joue pas en Europe, mais en Jordanie, en Turquie, parce que les gens ne partent pas pour le plaisir mais espèrent rentrer, donc ils ne vont pas trop loin.
Par ailleurs, la montée de l’extrême droite n’est pas le fait seulement de l’État, elle est la montée du nombre de personnes qui partagent ces idées. C’est aussi le cas parmi nos élèves, qui se retrouvent en conflit de loyauté entre notre discours et ce qu’ils entendent à la maison. Il y a une idéologie à déconstruire auprès de nos élèves : qu’est-ce qu’on leur propose à nos élèves, qu’est-ce qu’on leur apprend ?
Mais c’est le cas également parmi nos collègues. Et même, pour l’une des participantes, les élèves font moins peur : on leur explique, on organise des débats. Ce qui fait plus peur, c’est ce que l’on entend dans la salle des profs, les discours, l’attentisme.
Donner la parole
Émerge une proposition. Une participante évoque le projet d’une enseignante de français langue étrangère (FLE), qui a fait bouger les lignes en faisant travailler les élèves sur leur histoire de migrants. De petites vidéos d’histoire de ceux qui le souhaitaient ont été vues dans les classes, qui a eu beaucoup d’effet sur les élèves et les enseignants et enseignantes eux-mêmes.
Il s’agit de rendre visibles ceux que beaucoup veulent rendre invisibles, en personnalisant les histoires, pour montrer qu’on n’a pas à avoir peur de ces gens. Faire entendre la voix des migrants, leur donner la parole. Avec cette alerte toutefois : cela peut être dangereux, car la véritable histoire ne peut pas toujours être racontée. Et certains de ces jeunes se sentent tellement humiliés par leur situation, par ce qu’ils ont vécu, qu’ils ont le sentiment d’avoir perdu leur dignité et ne veulent pas parler d’eux, ne veulent pas que ça se sache. Il ne faut pas parler à la place des personnes, leur prendre la parole. Mais s’ils ne peuvent ou veulent pas parler eux-mêmes, comment faire ?
On peut aussi faire venir dans la classe des personnes extérieures pour parler de leur parcours, faire découvrir des témoignages à travers des vidéos. Il y a encore la possibilité de lire un récit personnel, et de raconter non pas sa propre histoire mais l’histoire de l’autre, si possible par quelqu’un qui n’a pas le même âge, le même genre, la même origine.
Y voir clair
Faire connaitre les histoires, informer, cela fait écho aux propos d’Edwy Plenel, fondateur de Mediapart, qui intervenait le soir-même Plenel dans une rencontre avec les participants à cette Biennale autour de la montée de l’extrême droite. Il exhorte à « essayer de comprendre et d’y voir clair, pour ne pas seulement être pris comme un lapin dans les phares. Il faut essayer de comprendre l’enjeu de ce qui se passe sous nos yeux, ne plus se prendre en pleine figure ce monstre sur nous proposent les médias en continu. »
Et l’enjeu, selon lui, c’est l’égalité. En 1789, il n’y a en France aucun droit, la proclamation de l’égalité naturelle entre tous les Hommes comme horizon devient le moteur de l’émancipation. Et c’est au cœur de la bataille pour l’éducation et le partage des savoirs.
Mais il rappelle que « d’emblée cette proclamation a eu des adversaires. N’oublions pas que les extrêmes droites ont leurs penseurs, comme Joseph de Maistre qui a théorisé l’idée qu’il n’y a pas d’humanité commune, mais un privilège de naissance, et une hiérarchie des humanités. »
Et donc, revenir à l’inégalité naturelle, en finir avec la promesse d’égalité, c’est cela qui est en jeu aujourd’hui. « Cela signifie l’effacement de la Déclaration universelle des droits de l’Homme. Elle n’est pas respectée par beaucoup des États qui l’ont signée, mais c’est une promesse qui va permettre de revendiquer des droits y compris contre ces États. Elle va permettre aux peuples que nous opprimons de revendiquer ces droits aussi. »
L’opinion contre l’information
Mais pour que l’extrême droite parvienne à cette fin, « il faut rendre tout cela opaque, il faut qu’on n’y voit pas clair. L’ignorance est de retour, et elle a une version laïque : l’opinion, qui prend le pas sur l’information. Aujourd’hui, les adversaires des éducateurs et des journalistes, c’est l’opinion. L’ennemi du droit de savoir, c’est liberté de tout dire, y compris l’abject. Une démocratie vivante n’est pas celle où toutes les opinions se valent et le débat démocratique n’est pas mon préjugé contre le tien. Un espace démocratique est un espace où on défend un rapport à la raison et à l’information. »
Il relie à ce mouvement « l’offensive de l’éloge des savoirs contre la pédagogie depuis une trentaine d’années, l’idée que les savoirs doivent être transmis de manière verticale, que cela ne suppose pas la pédagogie, pour immobiliser, figer.
C’est pourquoi le journaliste défend la nécessité de prendre conscience de ce qu’il se passe, citant le poète palestinien Mahmoud Darwich :
« Quand tu penses aux autres lointains, pense à toi.
(Dis-toi : Que ne suis-je une bougie dans le noir ?) »
Deux vers qu’Edwy Plenel interprète ainsi : « Si tu as conscience que c’est la nuit, tu deviens une lumière, de cette lucidité viendra la lumière. » Cela peut causer de l’inquiétude, mais « l’inquiétude est antichambre de l’espérance ».