Manifeste pour une éducation populaire - Des valeurs pour un avenir (ICEM)
Nos fondamentaux
L’Éducation n’a pas de frontière. Elle est internationale.
Parmi les valeurs que nous, éducateur·trice·s Freinet, défendons, le
respect des droits de l’enfant et la confiance en l’être humain à
progresser, grandir, apprendre nous semble fondamentaux et
constructifs.
Des droits de la personne humaine aux droits de l’enfant
Les droits de l’Homme défendent le principe fondamental que tous les
êtres humains, quels que soient leur condition sociale, leur sexe, leur
ethnie, leur religion, doivent être traités également et respectés.
Nous soutenons que l’enfant est une personne, de même nature que
l’adulte. Les adultes n’ont pas de droits sur les enfants, mais des
responsabilités, dont celle de les éduquer, c’est-à-dire de les aider à
devenir eux-mêmes. Les enfants sont citoyen·ne·s de droit, et c’est
par la pratique de la citoyenneté dès le plus jeune âge qu’il·elle·s le
deviennent vraiment : ceci par la mise en place d’institutions qui leur
permettent de s’exprimer librement, de coopérer et de participer
individuellement et collectivement aux décisions concernant leur vie
et leur travail.
C’est pourquoi, dans nos classes, nous faisons vivre la Convention
internationale des droits de l’Homme et la Convention
internationale des droits de l’enfant et militons pour leur
application.
Nous reconnaissons à chacun·e le droit à une éducation qui lui permette
d’accéder au maximum de ses capacités.
C’est pourquoi nous sommes engagé·e·s dans l’École publique et
promouvons une école laïque, mixte et gratuite.
Nous refusons tout dogme, tout endoctrinement. Nous accueillons
l’enfant, le jeune, tel qu’il·elle est, en respectant ses savoirs premiers,
sa culture familiale. Chacun·e, en s’appuyant sur ses représentations
initiales, est capable d’être auteur·e de ses apprentissages. Pour mettre
en œuvre et développer ses capacités d’apprendre, l’enfant doit se sentir
autorisé à une pensée autonome, libre et singulière. L’erreur n’est pas
une faute à sanctionner, mais une étape naturelle et indispensable de la
construction des savoirs.
Chacun·e se construit selon des processus qui lui sont propres.
Nous faisons le choix de la solidarité, de l’entraide et de la coopération
qui sont des composantes essentielles du progrès humain, plutôt que de
la compétition qui peut isoler les individus et être source de rivalités
destructrices. L’objectif de l’école ne doit pas être la formation d’une
élite qui crée une humanité à deux vitesses.
Tout le monde a une intelligence et la capacité de s’en servir : le cerveau
permet à l’individu de s’adapter en permanence à son environnement
physique et social. Il acquiert et fait donc évoluer naturellement ses
savoirs et savoir-faire.
Par ailleurs l’enfant, comme l’adulte, est un être social. Les relations qui se
jouent dans le groupe coopératif, notamment dans les débats contradictoires,
stimulent. Chacun·e, avec les autres, progresse et se construit.
« C’est à plusieurs qu’on apprend tout·e seul·e. »
La réussite est collective
ZUP de Calais, classe de CE1. En début d’année , sept non-
lecteurs.
À la cantine , en juin , Samir s’écrie : « Ah ! On a réussi ! Dans
la classe , on sait tous lire . Même Antoine ! »
Et moi , en l’entendant, me revient à l’esprit ce que je leur
avais dit en septembre : « Ce n’est pas possible que quelqu’un
ne sache pas lire en fin d’année . »
Mais il ne suffisait pas que l’enseignante y croie . Chacun fut
effectivement partie prenante du projet. L’organisation de la
classe , l’entraide ont permis à tous, y compris à Antoine , de
partager leurs compétences. Aider les enfants à écrire et à lire
était devenu l’affaire de tous au quotidien .
L’école est un lieu de vie. Ne la réduisons pas à un lieu d’apprentissage.
C’est ici que les expériences sociales prennent forme et se réalisent.
Vivre ensemble s’apprend. L’enfant, le jeune, se confronte aux autres,
tâtonne, essaie, propose, transgresse, s’adapte et grandit. Le groupe
coopératif aide chacun à trouver sa propre place.
La démocratie s’apprend par la démocratie à l’école.
C’est par la création (sonore, plastique, littéraire, mathématique,
corporelle, technique...) que chaque être humain s’affirme comme
individu. Créer, c’est aussi construire ses savoirs individuels (en
interaction avec le groupe) en reliant, en regroupant les informations
entre elles, en distinguant les relations de cause à effet... Nous élaborons
nous-mêmes nos raisonnements en réponse à nos propres interrogations.
Nous ne comprenons que si nous sommes auteur·e·s de nos propres
savoirs.
Des idées nouvelles, des pistes de recherche, émergent souvent dans un
groupe coopératif où chacun·e se sent en sécurité, libre et accueilli·e.
Trouver un lien entre deux objets, deux idées, provoque
l’émerveillement, la jubilation de la découverte, le plaisir de comprendre
par soi-même et de s’approprier le monde qui devient la motivation
fondamentale à apprendre. La possibilité de s’exprimer et de
communiquer dans le groupe favorise donc l’épanouissement de
l’individu.
En conséquence, en pédagogie Freinet, il est essentiel d’autoriser,
d’accueillir, de développer le potentiel de création de chacun·e dans tous
les domaines.
Nous soutenons la liberté effective de création, d’expression et de
communication.
Nous pensons qu’il faut que l’école sorte de ses murs et s’ouvre au milieu
et au monde extérieur, pour que chacun·e fasse évoluer sa connaissance
du monde et ainsi progresse dans son adaptation. Les groupes d’enfants
sont aussi nécessairement mixtes et multiâges, car la perception du monde
n’est pas identique selon l’âge, le sexe, la culture familiale, et le brassage
créé enrichit le groupe.
Les expériences singulières successives permettent de comparer, de
repérer des différences et des similitudes. Les échanges dans le
groupe amènent à les nommer, à émettre des hypothèses, à
expérimenter. Une démarche scientifique se construit, avec l’aide du
groupe, où chaque personne explore, essaie, et étend ainsi sa
compréhension du monde.
Dans l’école aussi, l’enfant apprend de la vie, en phase avec la vie.
L’enfant ne demande qu’à grandir, s’épanouir, augmenter sa force vitale.
Découvrir un nouveau savoir ou atteindre un objectif d’action le met
durablement en mouvement. Il ne suffit pas de mettre l’enfant en activité
pour qu’il apprenne. L’étonnement ou les obstacles rencontrés
déclenchent la curiosité, le besoin d’aboutir à des réponses et la réussite
apporte la satisfaction.
Cette quête est un travail vrai, librement consenti. Elle trouve sa
motivation en elle-même. Elle s’oppose au travail scolaire répétitif,
motivé de l’extérieur par l’enseignant·e – attente d’une bonne note – ou
par les parents – réussite scolaire –.
Nous défendons une école du travail.
Le monde est naturellement complexe. L’adulte, pensant présenter à
l’enfant quelque chose de simple, l’empêche de dégager par lui-même
le simple du complexe, de comprendre ce qui relie les choses entre elles
et fausse ainsi sa représentation du monde.
La pédagogie Freinet propose aux élèves de découvrir le monde tel
qu’il est, dans sa complexité.
Nos revendications
Les militant·e·s de l’ICEM pédagogie Freinet portent et soutiennent des
revendications communes avec les autres enseignant·e·s et salarié·e·s
de l’Éducation nationale pour un service public de qualité pour toutes
et tous.
Pour cela, il est essentiel d’améliorer les conditions de travail pour les
enfants comme pour les adultes par :
– la reconnaissance de notre travail et de ses difficultés ;
– arrêt des injonctions, menaces ou actes d’autoritarisme de notre
hiérarchie... ;
– la suppression du pilotage par les évaluations nationales standardisées ;
– l’augmentation réelle des salaires et la revalorisation des retraites, car
nous ne vivons pas que de pédagogie !
– l’arrêt de la marchandisation de l’école, de la surconsommation :
utilisation exclusive de logiciels libres, refus de projets clés en main
sponsorisés par des entreprises privées... autant de moyens qui
précipitent la privatisation de l’école publique ;
– l’augmentation, pour les enfants en situation de handicap, des moyens
d’accompagnement AVS* et AESH* formé·e·s, avec de vrais contrats
de travail ;
– une formation digne de ce nom pour tous les personnels d’éducation,
aussi bien en formation initiale qu’en formation continue ;
– la mise en place d’une véritable médecine du travail ;
– la création de postes de médecins scolaires, de psychologues scolaires,
d’enseignant·e·s spécialisé·e·s et d’assistant·e·s de service social…
– des classes moins chargées, partout et pour tout niveau de classe ;
– des programmes fixés par cycles d’apprentissages en référence à des
objectifs d’acquisition de comportements, de capacités, de savoir-faire
faisant une place essentielle à l’initiative, à la production, à la libre
expression et la libre recherche, à la vie sociale des enfants et des jeunes.
Et si les rédacteur·rice·s des programmes étaient tenus de les tester en
vrai dans une classe « lambda » !
– une architecture scolaire qui permet de disposer d’espaces adaptés
pour faciliter le travail en groupe, l’organisation d’ateliers, d’expositions,
de réunions.
Nous revendiquons aussi une véritable reconnaissance officielle de notre
mouvement, pourtant agréé par l’Éducation nationale :
– le droit, en tant que praticien.ne chercheur.e, de mettre en œuvre
librement la pédagogie Freinet dans nos classes, de travailler
officiellement en équipes Freinet, de créer au minimum une école
Freinet par département ;
– le droit pour les collègues en formation de découvrir et/ou approfondir
leurs connaissances et leurs pratiques de la pédagogie Freinet. L’ICEM
doit donc avoir une place dans tous les dispositifs de formation – initiale
et continue –, dans les INSPÉ*, les équipes de circonscription ;
– le droit de bénéficier d’autorisations et d’ordres de mission pour
participer à nos formations sur temps scolaire ; la possibilité de
comptabiliser nos rencontres de travail hors temps scolaire dans le cadre
des formations obligatoires ;
– la reconnaissance de la coéducation : entre pairs, avec les parents, avec
les membres de la communauté éducative dans l’école et hors de l’école
– personnel de service, enseignant·e·s, animateur·rice·s, éducateur·rice·s,
assistant·e·s d’éducation, personnel de santé… –, avec la formation et les
temps de concertation s’y rattachant ;
– des classes multiâges de 20 enfants maximum, avec un adulte
supplémentaire pour trois classes, favorisant ainsi les suivis individuels,
personnalisés, des temps d’ateliers de travail, une réelle différenciation
et une personnalisation des apprentissages ;
– une évaluation favorisant les processus singuliers, les cheminements
individuels des élèves dans un milieu coopératif. Les savoirs validés
sous différentes formes, sans hiérarchisation, à partir des réussites des
élèves, leur permettent de se situer dans leur parcours d’apprentissages.
L’observation de l’élève, au fil du temps, est une forme d’évaluation.
Notes et classements doivent être effectivement supprimés. L’évaluation
ne doit ni laisser de traces informatiques ni être un outil de contrôle
social.
Lutter pour la mise en œuvre de ces revendications est indispensable
pour respecter les droits de l’enfant tels que déclarés dans la
Convention internationale des droits de l’enfant.
Cette année , à la rentrée 2019, changement d’école et de poste .
Il s’agit d’une grosse école , je décide de ne pas parler tout de
suite de mon engagement syndical et à l’ICEM. Me voici en
UPEAA pour enseigner le français aux élèves arrivants. Le
temps de prendre mes marques puis je demande à mes collègues
quels projets elles ont pour leur classe , en Histoire , en lecture .
Je pourrais anticiper, les préparer au mieux.
La plus jeune d’entre elles m’explique qu’elle a prévu de
mener une recherche en sciences. Les élèves devront construire
une structure avec du carton , ils devront prévoir le trajet des
billes... me dit-elle . Tilt ! Parles-tu d’un Tatex* ? Nous nous
regardons yeux écarquillés. Tu connais ?
Sa copine est venue quelques fois aux rencontres du groupe
départemental de l’ICEM 64 et lui en a beaucoup parlé . Quelle
bonne rentrée ! Une collègue passionnée ! Quel plaisir de
tomber l’une sur l’autre par hasard et de constater à cette
occasion que les pratiques Freinet essaiment.
*Tatex : tâtonnement expérimental
Par ce Manifeste pour une école populaire, nous défendons une école
laïque, émancipatrice, coopérative, une école où la Méthode
naturelle permet à l’enfant d’être auteur·e, une école où chacun·e
est reconnu·e, accueilli·e, respecté·e… avec une réelle égalité des
droits, une école ouverte à la vie et vers la vie.
« Le travail créateur, librement choisi et pris en charge par le groupe,
est le grand principe, le fondement même de l’éducation populaire »
(article 4 de la charte de l’École moderne).
Depuis son origine, le mouvement Freinet, engagé dans un combat
contre les inégalités, continue de défendre l’idée d’une École du
peuple et lutte, au jour le jour, sur le terrain, pour la reconnaissance
d’une école de la liberté, de l’égalité et de la fraternité pour toutes
et tous sans exception.
Nous revendiquons le respect effectif des Droits de l’Homme et de
l’Enfant – mineur·e·s isolé·e·s, migrant·e·s, du voyage et des
bidonvilles, handicapé·e·s, étudiant·e·s pauvres… –. Chaque élève doit
pouvoir participer à l’élaboration des règles de vie et des projets. La
coéducation doit être privilégiée.
La constitution d’équipes Freinet devrait être favorisée. Le statut de
praticien·ne chercheur·e devrait être reconnu pour chaque enseignant·e.
Le temps de travail devrait inclure ses heures de recherche, de formation
et de création d’outils.
Nous revendiquons des conditions matérielles correctes. Elles passent
par la multiplication des structures à taille humaine où ni élèves ni
personnels ne seraient noyés dans une masse anonyme. L’architecture
scolaire doit être réfléchie avec tous les utilisateur·rice·s. Il est essentiel
de prévoir un nombre de postes suffisant pour qu’aucune classe ne
dépasse 20 élèves.
Des moyens financiers doivent permettre d’enrichir les bibliothèques
d’école et les Centres de documentation et d’information. Une réflexion
sur les rythmes scolaires, non soumise aux lobbys du tourisme, s’impose
avec tous les acteur·rice·s de l’éducation.
Nous revendiquons une école ouverte sur son environnement proche et
lointain, accueillant les apports des enfants et des familles. L’administration
doit garantir toute sortie et en accorder les moyens nécessaires.
Les équipes pédagogiques doivent pouvoir s’organiser en classes
multiniveaux et, dans le second degré, obtenir un emploi du temps qui
favorise le travail interdisciplinaire. Enfin, il est essentiel que soit prévu
du temps de concertation entre les élèves, les enseignant·e·s et les autres
membres de la communauté éducative.
Nous revendiquons, pour les enseignants·es, une formation initiale par
une ouverture concrète des INSPÉ* aux mouvements d’éducation
populaire, ainsi qu’une formation continue par la mise en œuvre d’une
coformation et d’échanges mutuels de pratiques. Il faut pour chacun·e
une formation spécifique à la connaissance des techniques Freinet. Les
temps de coformation des enseignants Freinet effectués lors des réunions
départementales ou nationales doivent être reconnus comme formations
officielles par l’Éducation nationale.
µ45Nous revendiquons une évaluation respectueuse de l’élève comme de
l’enseignant·e qui valorise l’engagement et les progrès de chacun.
L’évaluation n’est jamais une fin en soi. Elle doit être directement utile
à la personne évaluée.
C’est par la satisfaction de nos revendications que nous avancerons
vers une école populaire et une société émancipatrice.